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Photo du rédacteurLa poupée qui fait non.

La dégustation - Théâtre de la Renaissance


Les dimanches pluvieux à Paris, c'est pas ce qui manque. Le vent frais qui se faufile dans les ruelles, couronné par un ciel gris et cotonneux. S'il y a bien un remède à tous ça, c'est bien le théâtre.

J'entends ici le théâtre parisien, avec ses balcons, ses dorures, ses loges et ses fauteuils en velours rouge. Rideaux peints et tutti quanti. Le kitsch, le grand, le vrai. Le Théâtre de la Renaissance coche toutes les cases du cliché parisien. Grande salle qui en jette, bâtiment vieux comme Mathusalem et un fonctionnement à l'ancienne, avec placiers et jeunes gens trop bien habillés pour un dimanche après-midi.


La pièce à l'affiche est primée, une distribution aux petits oignons : Isabelle Carré, Bernard Campan en tête d'affiche pour attirer les curieux et incarner les futurs amoureux de cette comédie romantique. On y retrouve aussi des comédiens délicieux comme Olivier Claverie dans le rôle du médecin, Éric Viellard dans celui du libraire et enfin Mounir Amamra en jeune délinquant en liberté conditionnelle dont l'humour n'a d'égal que la tendresse.


Lever de rideau. On découvre un décor ultra réaliste de petite cave de quartier aux bouteilles bien présentées, jolis tonneaux pour déguster le vin mais aussi des accessoires comme un terminal de paiement par carte qui fonctionne et un rideau de fer électrique pour la vitrine du magasin qui campent l'intrigue dans un environnement actuel. Le diable est dans les détails. Les accessoires sont peu nombreux ( chaîne hi-fi, bouteilles de vin, manteaux, documents, serpillère) mais utilisés avec doigté dans un soucis de réalisme et toujours pour servir le texte.


Le texte, parlons-en. Le scénario est le suivant : «Divorcé du genre bourru, et célibataire depuis trop longtemps, Jacques tient seul une petite cave à vins. Hortense, engagée dans l’associatif, tout proche de finir vieille fille, débarque un jour dans sa boutique et décide de s’inscrire à un atelier dégustation. Mais pour que deux âmes perdues se reconnaissent, il faut parfois un petit miracle. Ce miracle s’appellera Steve, un jeune en liberté conditionnelle, qui, contre toute attente, va les rapprocher». On se dit d'abord que oui une comédie romantique, c'est mignon, guilleret et inoffensif mais Ivan Calbérac ne cesse de nous surprendre avec La Dégustation. La comédie fonctionne avec une mécanique bien huilée, un rythme ternaire très efficace où le comique de répétition prend place sans s'installer dans la lourdeur. Le rire vient d'une part des situations, de quiproquos habiles mais aussi du mélange des registres qui résulte de la rencontre des différents personnages. Les jeux de mots sont nombreux et le personnage de Steve avec ses maladresses lexicales vient ajouter au rire une certaine complicité avec le public.


La métaphore filée de la dégustation associant le vin à l'amour, la délectation à la séduction, les saveurs aux divers plaisirs de la chair se poursuit tout au long de la pièce jusqu'au point de non-retour où nos deux amoureux tombent dans les bras l'un de l'autre. Or, le texte ne finit pas là et la comédie romantique prend un tournant plus sérieux, presque dramatique. L'alcool peut se révéler comme un poison et le décors de la cave se transforme en un clin d’œil en chambre d’hôpital ou en cellule de prison. Les nerfs à vif, les répliques guillerettes laissent place aux réflexions profondes et on se laisse toucher par la détresse de Jacques, d'Hortense, de Steve tout en se laissant porter par la bonhomie d'un médecin aussi drôle que bienveillant.


D'une comédie mettant en vedette le célibataire endurci et la vieille fille bourgeoise, on passe à une peinture réaliste des problématiques actuelles : alcoolisme, pauvreté, délinquance et réinsertion. On suit également la trajectoire d'Hortense de la Villardière au sujet de la PMA. La comédie devient sérieuse mais toujours joyeuse et rafraichissante grâce à la finesse du texte et surtout à l'interprétation des comédiens qui passent d'une émotion à l'autre avec beaucoup de justesse. Le point culminant de la pièce, la fameuse dégustation, jouée face public pourrait paraître un peu cliché mais l'ivresse n'est pas surjouée, l’ébriété est contenue. Les vapeurs d'alcool se dissipent dans la salle au fil des répliques pour laisser le public grisé à la fin de la représentation. Le salut final a un goût de revenez-y et on comprend alors le prix du Molière de la meilleure comédie 2019.

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